Changer d’écoute, c’est changer son rapport au monde. Changer son rapport au monde, c’est changer sa représentation imaginaire dans un espace réel.

Au moment où cultiver notre écoute n’est plus une priorité esthétique, où notre humanité brouillée perd ses oreilles, il est urgent de retrouver l’inspiration. Accélérons. Interrogeons tous azimuts :

• la grenouille Metaphrynella sundana : animal minuscule à l’écoute audacieuse
• l’ampoule au bout de son fil : chose dont on ignore qu’elle nous écoute
• Pierre Souvtchinski : l’homme qui décrypte le monde par son écoute du temps

L’adversité forge l’écoute. La vie en situation d’adversité est porteuse d’une urgence organique qui nous fait défaut. Prenons le quotidien de l’animal minuscule au sein de son environnement : confronté en permanence à des situations d’adversité, il est amené à développer des stratégies sonores inédites pour survivre. Ainsi, celle dont use la minuscule grenouille Metaphrynella sundana témoigne d’une audace inventive qui enrichit son écoute et affûte sa conscience perceptive.

Les paroles impriment un mouvement aux choses, ainsi que le démontre une expérience menée sur une ampoule par des chercheurs israéliens. Une chose à laquelle une conversation imprime un mouvement, et dont la réaction en permet le décryptage, ─ cette chose-là est-elle vraiment inerte ? Et si les différents êtres du monde entretenaient avec nous une conversation secrète ? Ouvrons alors la porte à l’imagination : et si, à partir des résultats obtenus par le vacillement léger de l’ampoule, plus rien ne s’opposait à ce qu’un jour, l’homme puisse analyser, muni des bons filtres d’interprétation, toute information «trahie» par les mouvements de l’air ambiant ? Alors le créateur pourrait rencontrer, pour la première fois dans l’histoire de la musique, ce matériau complètement inconnu qu’est la nature brute du son… L’heure a sonné : affranchissons-nous du carcan de la matière.

La grenouille et l’ampoule sont deux sujets de réflexion impressionnants pour le créateur, évidemment. Mais le rapport est complexe entre la vivacité sensible de l’homme, les stratégies animales et les contraintes de l’objet. Et pourtant, la possibilité d’explorer esthétiquement une conscience inter-vivant se rapproche. Le rapport duel homme/objet jamais ne sera autosuffisant pour créer. Mais aujourd’hui, dans ce moment où le phénomène musical se trouve tant désorienté, il est incontournable pour avancer. Avancer certes lentement, sans jamais précipiter l’expérimentation des premiers degrés de dépendance envisageables avec le Vivant non humain (par exemple : ne surtout pas capter le son de la grenouille pendant qu’elle échantillonne, Messiaen l’a déjà fait avec les… petits oiseaux !). Pour ne pas réduire ce rapport complexe à un exercice amusant, une expérience sans lendemain, il importe d’avoir une vision globale de la création musicale.

Objectif

Basculer vers un imaginaire dont le processus créatif intégrera un degré de dépendance structurel avec le Vivant non humain.

Ce partage ancestral s’en ira tôt ou tard : «La pierre est sans monde ; l’animal est pauvre en monde ; l’homme est configurateur de monde.» (Heidegger, Les concepts fondamentaux de la métaphysique, p. 267).

Proposition

Quel(s) créateur(s) nous relie(nt) en permanence au cœur battant de la musique ? Vivifie(nt) notre rapport à la création, déjà par le seul fait qu’il(s) existe(nt) ? Nous raccroche(nt) à son(leur) humanité parce qu’il(s) incarne(nt) un rapport organique à la création ? Pierre Souvtchinski (1892-1985), en traversant le XXe siècle, a vécu la création de manière globale, de manière unifiée. Et comme tous ceux qui vivent quelque chose dans leur corps, il est porteur d’une évidence dont on ne peut faire l’économie. Surtout maintenant. Comment le dire autrement ? Il n’est pas envisageable de basculer sans l’incandescence de sa pensée.

La création musicale permet de s’entendre exister, de s’imprégner des formes de vibrations complexes, intelligentes, quelque part dans la nature, de désanthropiser notre univers sonore.