À partir d’un mythe rapporté par Hésiode (VIIIème siècle avant notre ère), interrogeons la tortue d’Hermès : sa présence créatrice incarne le risque et le pari inespérés d’imaginer une œuvre nouvelle. C’est le premier manuel non écrit sur la pratique musicale occidentale.
1. Pour échapper à l’adversité : abattre la carte de l’inouï
Aussitôt né, Hermès sortit de sa grotte et rencontra sur son chemin une carapace de tortue dont il extirpa le reptile. Il eut alors le coup de génie de la faire sonner et résonner : «Hermès est le premier qui fabriqua une tortue qui chante. Il se trouva nez à nez avec elle à la porte de la cour, comme elle broutait la bonne herbe juste devant la maison, marchant à petit pas» (Hésiode, Hymne IV à Hermès, v. 25-28)
Entre-temps, Hermès cause un grave préjudice à son frère Apollon, qui veut le tuer tant il est furieux. Voici comment Hermès va déjouer sa vengeance : il lui joue de son instrument de musique. La musique adoucit instantanément Apollon, il est envoûté. Le son suave qu’Hermès extrait habilement de son instrument le séduit et l’apaise. Apollon en oublie sa rage. Il demande alors à Hermès de lui donner son instrument pour que lui aussi puisse en jouer.
2. Tout est déjà dans l’instrument
Quand Hermès tend à Apollon cette carapace de tortue qui chante, il l’informe : «Moi, je ne veux pas t'empêcher de pénétrer les secrets de mon art. Tu sauras tout dès aujourd’hui». Mais aussitôt après il se ravise, arguant que le savoir qu’il détient est déjà dans l’instrument. Hermès : «Je l’ai bien compris moi-même : tu es riche de savoir. Il ne dépend que de toi d’apprendre ce qui te fait envie. […] Je vais te donner [l’instrument] ; toi, mon ami, donne-moi la gloire. Chante, prends dans tes bras cette amoureuse à la voix claire. […] Si quelqu’un qui est instruit l’interroge comme il faut, avec art, avec sagesse, elle dira mille choses qui feront plaisir à l’esprit ; elle voudra bien qu’on la touche avec de douces caresses. Elle n’aime pas que l’on peine à la tâche, et si quelqu’un, un ignorant, l’interroge d’abord avec brutalité, alors elle ne dira rien que des paroles en l’air. Il ne dépend que de toi d’apprendre ce qui te fait envie». (Hésiode, Hymne IV à Hermès, v. 464-465 et 473-488) Et Apollon de créer des hymnes qui vont le distinguer, notamment durant sa joute musicale avec Marsyas.
*
Ce propos est le premier texte occidental qui pose la question de l’enseignement de la composition et l’envie d’en maîtriser les outils. Cette sensibilité à l’inouï manifeste l’énergie créatrice primordiale qui transforme nos oreilles d’albâtre.
Poster une réponse