Lire une société à travers ses milieux sonores
Sensibles à l’approche transdisciplinaire de la création musicale ? Posons une écoute sur le monde qui nous environne. Prenons le sujet du milieu sonore en tant que grille de lecture d’une société : à cet égard, la musique contemporaine livre une image bien peu flatteuse de la société qui la voit naître. L’image d’une triste convergence dans l’approche conformiste de notre sensibilité aux sons et au monde. Manque de surgissements de l’innovation. Cacophonie entre un entre-soi (il a toujours existé dans le domaine de la création) et l’émergence de phénomènes nouveaux tels que le numérisme et le multiculturalisme au cœur d’une société en crise. Un jour, les sociologues de la culture et du travail créateur s'empareront de cette problématique où la curiosité fait défaut pour en dévoiler toutes les arcanes.
Que recèle le calme d’une grenouille ?
Metaphrynella sundana est une minuscule grenouille de la jungle de Bornéo qui a été découverte en 1867 et dont la structure génétique a été étudiée en 2015. Le mâle est à peine plus grand qu’un ongle humain : la femelle est naturellement incapable de discerner l’appel de son chant dans la cacophonie ambiante. Stratagème ! Ce mâle, par son inventivité, va être capable de se faire entendre distinctement par sa dulcinée en dépit du milieu saturé de signaux sonores. Il part à la recherche d’un arbre creux, de préférence un trou qui soit à plus d’un mètre du sol. Il le choisit en fonction de sa taille, de la forme de son trou et du volume d’eau qui s’y trouve, l’eau étant un réflecteur acoustique naturel. Installé à l’intérieur du tronc, il teste plusieurs hauteurs de notes jusqu’à ce qu’il trouve la fréquence la plus appropriée afin que soit démultipliée la portée de son appel (et la fréquence d’appel n’est pas dépendante de la taille du mâle). Et si le niveau de l’eau baissait dans le tronc ? Il va s’adapter à l’aléa en abaissant progressivement la fréquence émise et restera ainsi toujours connecté à la fréquence de résonance du tronc d’arbre. En 2002, Björn Lardner et Maklarin bin Lakim ont placé un mâle dans un tube en plastique partiellement rempli d’eau, afin de simuler un trou d’arbre : «The frog was actively tracking the resonant frequency of the tube» (la grenouille suivait activement la fréquence de résonance du tube) ; ils ont aussi observé qu’il y a des grenouilles plus douées que d’autres pour ce genre d’exercice. L’appel du mâle peut être entendu, par une oreille humaine, entre 10 et 100 mètres (en fonction du bruit ambiant, de la végétation, de la topographie et de la pression acoustique). La femelle localise le signal puis en trouve la source. Pour avoir posé une écoute sur le monde environnant, un couple parvient à se former à l’abri des prédateurs. L’adversité a forgé leur écoute.
De l’arbre creux à la poterie : un résonateur peut en rappeler un autre
Les hommes ont-ils créé un meilleur outil, aux propriétés acoustiques particulières pour un but précis, que la grenouille quand ils ont sonorisé les théâtres, les églises puis les salles de concert ? En effet, la modélisation par la grenouille des caractéristiques phoniques d’une cavité fait penser au procédé d’amélioration acoustique dans l’architecture des théâtres antiques pour déclamer la tragédie grecque à partir de poteries acoustiques en forme de vases (souvent en bronze) fixées dans les murs. Pour que la projection sonore du chanteur ou du célébrant soit optimale sur une portée d’environ 50 mètres, les vases sont accordés avec précision sur des proportions harmoniques particulières (et il y a débat sur le système employé : celui qui régissait l’harmonie des sphères ?). Cf. l’inventaire archéologique de ces vases de résonance et de leurs emplacement dans le traité d’architecture de Vitruve, «De l’architecture : livre V». Les Belles Lettres, 2009, pp. 400-409 (inventaire de Catherine Saliou). Plus tard, ce genre de résonateur sera repris dans les maçonneries d’églises médiévales (nef, chœur, voûte) afin de spatialiser l’espace liturgique ; cf. les publications de B. Palazzo-Bertholon et J.-Ch. Valière.
C’est le biologiste Jakob von Uexküll qui a montré que l’animal vit non pas dans Le monde mais dans Son monde. Un monde où les choses n’existent que si elle possèdent une signification. Parce que sa dépendance à la perception est dominante, le territoire où il se meut est une extension sensible de son propre corps. (cf. Uexküll, Milieu animal et milieu humain, Bibliothèque Rivages). La recherche sur la communication animale longue distance est coutumière de constats bluffants, quand les signaux acoustiques émis pour communiquer font face aux contraintes imposées par l’environnement et s’en servent comme outil pour favoriser l’émission ou la réception des sons. Il semble qu’il n’existe pas encore de revue de littérature qui corrèle objectivement l’ingéniosité de l’analyse acoustique (donc la puissance de l’oreille et du cerveau) à la taille des animaux, le monde du minuscule n’a livré que peu de secrets. Du coup, ça nous fait tendre l’oreille et l’on apprend.
Un teasing ? C’est l’histoire du stratagème acoustique de l’insecte de 12 mm de longueur ─ Homalodisca vitripennis ─ qui sévit dans les vignes : les insectes communiquent par une onde de flexion qui est générée à partir de la contrainte de la surface de la feuille de vigne pour amplifier le signal et permettre à l’insecte récepteur de décomposer spectralement le son émis par un congénère…
Aujourd’hui, la récolte de données sur des composantes de la musicalité parmi des espèces non humaines, comparées à celles de la musicalité chez l’humain ne fait que commencer, et avec elle la mise à l’épreuve des thèmes qui visent à expliquer la musicalité, fondement, pour l’humain, de la capacité à percevoir, apprécier et faire de la musique. Si le créateur s’interroge sur la musicalité du Vivant hors humain, il est déstabilisé. Comprenons bien ce dont il s’agit : il est sainement déstabilisé.
Grenouille, ta musicalité est revigorante
Grenouille géniale, comment te le dire ? Toi, dont le cerveau est infinitésimal, tu es apte à échantillonner les propriétés de résonance d’un lieu que tu as choisi. Possèdes-tu une «base de données» de tes arbres passés, toi qui inlassablement mets en œuvre un processus expérimental que tu réinventes sans cesse ? Tes fonctions cognitives croiseraient-elles mémoire et optimisation du son ? Attention ! Toute tentation d’anthropomorphisme doit être écartée : l’amphibien est soumis à son instinct, il n’est pas libre de ses actions. Il serait donc vain de poétiser la signification de ses structures sensible, imaginaire et cognitive. En un mot : de parler de musique au sujet d’un cri animal. La dissemblance doit être assumée.
«Les milieux d’un spécialiste des ondes aériennes et d’un musicologue témoignent du même contraste. Il n’y a dans l’un que des ondes et dans l’autre que des sons. Mais les deux sont aussi réels l’un que l’autre. […] Tous ces différents milieux sont supportés et protégés par l’Un qui leur reste à jamais inaccessible. Derrière tous ces mondes qu’il produit se cache, manifestement à jamais, leur sujet : la nature.» Uexküll, Milieu animal et milieu humain, Bibliothèque Rivages, page 166
Nommons «objet» le creux mouillé de l’arbre qui pour l’amphibien est un outil ; «conscience» l’instinct de se trouver dans cet arbre ; «intentionnalité» la faculté qui s’extrait de son instinct animal. L’amphibien génère un protocole qui distingue instinct (se reproduire) et intentionnalité (échantillonner un son dans l’intention de se faire entendre dans un environnement cacophonique). Sa conscience étant cantonnée dans l’instant, passé et futur ne sont pas subordonnés au rapport qu’il entretient avec le monde. L’amphibien se jette dans le monde sans s’y projeter.
«Exister, c’est être là, simplement ; les existants apparaissent, se laissent rencontrer, mais on ne peut jamais les déduire. Il y a des gens, je crois, qui ont compris ça. Seulement ils ont essayé de surmonter cette contingence en inventant un être nécessaire et cause de soi. Or aucun être nécessaire ne peut expliquer l’existence.» Sartre, La Nausée, page 187
Grenouille fascinante, saura-t-on un jour si, luthier-interprète, tu inventes un instrument de musique pour en jouer à ta dulcinée, entrelaçant le sensible et son environnement, ou si, tout simplement, ton instinct est juste «programmé» pour cela ? That’s all Folks !
génial ;bien sûr nous avons oublié volontairement, pour certains,nos origines ,pour d’autres non Mais il très difficile de vivre ensemble
Nous sommes TOUS faits pour vivre dans un jardin avec les animaux qu’ils soient insectes ,carnivores herbivores poissons et ils nous EDUQUENT et l’homme s’est éloigné de la nature ,c’est une des causes de maladies neurologiques ,dépressives ;Nos amis même les serpents
ont bien des choses à nous apprendre ;humilité ,respect envers les autres et amour pour l’homme ;il faut revenir à la création avec les besoins technologiques à notre portée
Musicalement vôtre danièle durieux